Le travail
Les agriculteurs sont des entrepreneurs. Et comme tout entrepreneur, ils n’ont pas le même rapport au travail que d’autres travailleurs. La frontière entre le temps de travail et le temps personnel s’estompe. L’énergie n’est plus calculée. L’envie de réussir est démultipliée. Mais pour autant, faut-il accepter de tels sacrifices ? Les agriculteurs sont les champions des travailleurs, toutes catégories, relève l’Insee. En 2022, ils ont travaillé en moyenne 56,3 heures par semaine, parfois jusqu’à 70h, souvent le dimanche, contre 40 heures pour la moyenne des personnes en emploi. Dit autrement, ils font une semaine et demie en une semaine.
Car être agriculteur comprend une charge de travail autre que celle au champ ou dans l’étable : la vente, la communication, la gestion des aspects financier, légaux mais aussi (et surtout) les charges administratives diverses. Souvent pointée du doigt, cette suradministration, exacerbée par des normes toujours plus nombreuses, vient s’ajouter à la lourde charge de travail. Les demandes et les papiers s’entassent, les rappels arrivent. Et in fine, ce sont des d’aides qui ne sont pas sollicitées, des pénalités qui sont reçues, des contrôles qui arrivent, et des agriculteurs que l’on accule.
On attend de ces derniers qu’ils soient bons dans une diversité de corps de métiers mais on ne leur en donne pas la possibilité morale, physique, financière. Peu de repos, pas de répit, un manque de sommeil structurel, et un épuisement. Et cela pèse face à un métier dur. Dur pour le corps et l’esprit. D’après l’AGRESTE, en France, 83% des chefs d’exploitations déclarent des contraintes physiques intenses (contre 56% des artisans). 35% sont touchés par un travail excessif. Ce manque de temps ne permet pas non plus aux agriculteurs la nécessaire prise de recul de l’entrepreneur, pour se remettre en cause, chercher des solutions, ajuster pour mieux respirer. Tous les agriculteurs et agricultrices sont concernés mais les éleveurs et éleveuses développent davantage de stress tant le travail avec les animaux demande une astreinte quotidienne et constante. L’engrenage qui s’enclenche entraîne l’entreprise et l’humain vers une voie sans issue.
« Soit-fort et tait toi ». « Ceux qui se suicident ce sont les nuls ». Voilà ce qu’il se dit, encore aujourd’hui, dans nos campagnes. La difficulté est taboue. Se plaindre est un aveu de faiblesse. Dire stop est souvent inacceptable. Ou du moins inaccepté.
Signe positif, il semblerait que certaines mentalités changent et que les agriculteurs acceptent davantage de s’accorder des vacances. D’après le ministère de l’agriculture, ils étaient 24 % à partir en 1994, 38 % en 2004 et 48 % en 2016. Cela reste toutefois bien en deçà des 60 % des Français qui déclarent partir en vacances selon le CREDOC. Pour le permettre, les agriculteurs font parfois appel aux services de remplacement. Développés en réseau depuis les années 1970 ce sont des structures locales employant des agents qualifiés, majoritairement en CDI, capables d’assurer des missions de remplacement sur des exploitations agricoles quand l’agriculteur doit s’absenter. Malheureusement, ce service reste très lié à l’élevage et ne concernait en 2016 qu’environ 15% des exploitations agricoles. De plus, l’aide au répit (mise en place par la MSA), pour des agriculteurs en situation d’épuisement (émotionnel, psychologique, physique), est très peu utilisée.
Les agriculteurs disent faire le meilleur et le pire métier du monde chaque jour. Un métier fait de nombreuses libertés et de beaucoup d’asservissement. Mais pour profiter de la beauté du métier encore faudrait-il qu’ils aient les armes pour se protéger. Protéger leur sphère privée et leur santé.
Violaine est éleveuse de chèvre. Elle a failli passer à l’acte en 2015.
Loire-Atlantique, France