L'isolement
La population française, majoritairement rurale au 19ème siècle, est devenue majoritairement urbaine au cours du 20ème siècle. Et le phénomène se poursuit. L’exode urbain post COVID n’a pas eu lieu. Les campagnes françaises continuent de perdre des habitants. Le bilan démographique publié par l’Insee fin 2023 fait apparaître que les zones rurales indépendantes des pôles urbains ont encore perdu plus de 6000 habitants entre 2015 et 2021. Désormais, ce sont 4,4 millions de Français qui y habitent. Soit 6,5 % de la population totale de la France (hors Mayotte) contre 55,8 % de la population il y a un peu plus de 100 ans (environ 22,1 millions en 1911).
Cette déprise rurale peut aisément se mettre en lien avec la baisse drastique des actifs agricoles et de son environnement. Elle participe, en retour, à l’isolement de ces mêmes agriculteurs. Ceux qui sont encore là. Un isolement géographique mais aussi social au quotidien. Une forme de désocialisation qui pèse et qu’il est dur d’enrayer dans un rythme effréné. Car au-delà de la configuration de nos campagnes, l’isolement des agriculteurs est une contrainte subie, inhérente au métier, à son organisation et au système. Une forme d’enfermement quotidien.
A cela s’ajoute une incompréhension permanente entre la ville et la campagne. Entre ceux qui produisent et ceux qui mangent. Alors que la nourriture pourrait lier, devrait lier, au contraire elle oppose et stigmatise. Les agriculteurs pensaient avoir fait le bien, ou du moins du mieux possible, et on les pointe du doigt. Que ce soit à tort ou à raison cet affrontement contribue à un isolement sociétal du monde agricole. Ce n’est pas la cause première du mal-être agricole mais cela l’accentue.
Face à ces difficultés, on le sait, plus on intervient tôt plus on limite le mal-être et on évite l’acte de suicide. Mais pour identifier, alerter, il faut être entouré, se sentir soutenu, avoir une ouverture aux autres. Il faut permettre une acceptation de sa propre situation. Accepter que l’on ne va pas bien. Pour ensuite pouvoir parler et sortir la tête de l’eau. Mais force est de constater que les agriculteurs ne se confient pas facilement. Le mal-être ne se divulgue pas. Au contraire, ils se referment sur eux-mêmes. Ajoutant cette coupure sociale à l’isolement existant.
Le système agricole tel qu’il s’est développé est loin d’avoir renforcé l’entraide. Les OPA passent dans les fermes mais elles passent bien souvent à côté de l’essentiel. Les voisins ne sont plus là pour échanger. Alorsoui, on ne peut être aidé si l’on ne demande pas d’aide. Mais on ne peut pas être aidé si notre appel à l’aide n’est pas entendu.
François s’est jeté dans sa mare avec sa voiture. Il avait une ferme céréalière.
Loire Atlantique, France