Reprendre le contrôle
Les agriculteurs d’un côté, les consommateurs de l’autre, ont trop souvent acceptés d’être les variables d’ajustement. De subir les contraintes qui leur tombent dessus, la pression des industriels, la volatilité des cours, les décisions politiques, les réglementations changeantes. La reprise en main de ce système est en partie possible. Elle est en tout cas nécessaire.
Cela passe par le foncier. Devenu si cher, il est un frein à l’installation de jeunes agriculteurs. Des collectifs de citoyens se créent sur toute la France, souvent sous forme de Société Coopérative d’Investissement (SCI), pour racheter du foncier et le mettre à disposition des agriculteurs. Des associations et sociétés à mission s’activent pour orienter l’épargne et les investissements vers le maintien de fonciers agricoles et la mise en relation avec des porteurs de projets. Des personnes non-issues du monde agricole (NIMA), ou pas, qui pour la plupart défendent un modèle de production alternatif au conventionnel. Cela reste encore une minorité des transactions, et cela n’est pas encore suffisant face aux départs à la retraite massifs à venir dans le monde agricole, mais c’est un signal envoyé. De plus, ces projets d’installation se font bien souvent sur des surfaces plus petites et dans des contextes plus favorables. Cela limite la prise de risque économique et l’endettement des agriculteurs qui démarrent.
Les exploitations agricoles sont aujourd’hui totalement dépendantes des énergies fossiles et notamment du pétrole. Le sang de l’agriculture. Que ce soit pour ses intrants (engrais, pesticides…), pour ses équipements ou encore les tracteurs utilisés. Or, dans un monde en tension, ces approvisionnements sont à risques. La France importe par exemple 80% de ses besoins en engrais dont une bonne partie de la Russie. Aussi les contraintes à venir sur la production pétrolière mondiale et les matières premières qui en dépendent risquent de provoquer un renchérissement global des prix, et à minima de grosses perturbations. Cela augmente le cout de production et impacte la rentabilité des producteurs. Reprendre le contrôle sur ces intrants devenus si cher et à risque, apparait comme un acte de résilience des fermes. Une nécessité. Pour cela, l’agroécologie peut être une voie de sortie pour les agriculteurs. L’agroécologie permet de reconnecter agronomie et écologie dans le but de concevoir des systèmes de production valorisant au maximum les processus naturels et les ressources locales. En pratique, son application passe par une réduction forte d’intrants notamment ceux ayant des impacts sur la santé ou les écosystèmes. Pesticides et engrais azotés sont marginalisés voire abandonnés. Ce sont les cycles agronomiques et azotés qui sont repensées, des légumineuses qui sont plantés, du compost qui est produit sur la ferme. La généralisation de l’agroécologie n’est pas une utopie, c’est un chemin à prendre. En 2018, l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) publiait le scénario Tyfa (Ten years for agroecology), démontrant comment une généralisation de l'agroécologie était possible et souhaitable.
Vient ensuite l’enjeu des débouchés, de la valorisation marché. Quitte à produire, et faire attention à ses coûts de production, autant en tirer le juste prix. Et quitte à produire sur un territoire, autant aussi en faire bénéficier ses habitants. C’est toute la logique des circuits courts locaux. Pas plus d’un intermédiaire entre le producteur et le consommateur et cela idéalement dans un périmètre territorial. AMAP, point de vente à la ferme, marché, vente en ligne… A la clé bien souvent une rémunération des agriculteurs plus juste que lorsque de (trop gourmands) intermédiaires prennent leur part de valeur ajoutée. Signe que cela fait sens, près d’un quart des exploitants commercialisent tout ou partie en circuits courts (en 2020). Le frein reste bien souvent la logistique et la praticité d’achat pour le consommateur qui continue de privilégier le supermarché pour près de 80% de ses achats alimentaires. Reste donc à introduire une marée de produits locaux dans les rayons, à prix coûtant, pour allier accessibilité, qualité et terroir. Tout « court circuité » n’est pas réaliste voire désirable mais le potentiel de développement de ces canaux alternatifs de distribution reste encore important. Au-delà d’une meilleure valeur ajoutée, ces circuits courts permettent de recréer du lien entre producteurs et consommateurs. Ce lien, trop souvent rompu par des chaînes alimentaires à rallongent et par des produits venus des quatre coins du monde.
On le dit souvent, chacun de nous vote 3 fois par jour via ses choix de consommation. L’action de manger participe à la structuration du monde que l’on veut, et ainsi aux conditions de travail et à la vie des agriculteurs. A ce titre, comment ne pas parler de l’initiative C’est Qui le Patron ?!. Le concept est simple. C'est qui le patron ?! est détenu par des sociétaires consommateurs qui choisissent les produits commercialisés par la marque et le cahier des charges associé. En face, le modèle repose sur l'assurance d'une juste rémunération des producteurs et de la vente de produits de qualité. En 2021, la marque revendiquait avoir reversé plus de 150M€ aux producteurs et personnes en difficulté.
Mais plus largement, le soutien à l’agriculture des territoires et à ceux qui la font, passe par une reprise en main de l’alimentation par les citoyens eux-mêmes. Chacun, partout dans le monde doit reprendre le contrôle de son assiette et devenir acteur de ce qu’il mange. C’est ce que l’on peut appeler la démocratie alimentaire. Un concept émergeant où les habitants consommateurs d’un territoire retrouvent les moyens d’orienter leur système alimentaire au-delà même de leurs actes d’achat. Dans les faits, cela peut émerger sur des initiatives tels que la Sécurité Sociale Alimentaire (SSA) qui, à l’instar de la sécurité sociale, propose de sanctuariser un budget pour l’alimentation pour toutes et tous. Des expérimentations se mettent en placent à travers la France sous des formats diverses. Mais toutes se rejoignent sur la nécessité de créer du lien direct entre consommateurs et producteurs des territoires, et de garantir des prix rémunérateurs. Cela permettant à la fois de traiter l’enjeu majeur de précarité alimentaire (16% des français déclare ne pas manger à sa faim) mais aussi celui des revenus agricoles.